Benjamin Biolay : en pôle position pour son Grand Prix (Polydor/Bambi Rose)

Benjamin Biolay : en pôle position pour son Grand Prix (Polydor/Bambi Rose)

Fans impatients et fébriles, vous allez écouter cet album dès sa sortie. D’un trait. Mais à la fin, vous serez peut-être déçus. Vous direz peut-être même que vous n’y comprenez rien, que ça ne ressemble pas à Biolay. Mais, parce c’est Biolay et que ça ne peut pas être mauvais, vous écouterez encore et encore (spoiler : à la fin vous aimerez!).

Effectivement, Grand Prix ne ressemble à aucun autre album de Benjamin Biolay. Ce qui est en soi un pléonasme : Benjamin Biolay, comme Alain Bashung avant lui, ou comme actuellement Damon Albarn et Julian Casablancas se plaisent à le faire, est un auteur compositeur qui casse systématiquement le jouet qui a fait son succès précédent. Autre album concept (le sport automobile), autres sons, et une équipe musicale façon rock band.

Un album collégial

L’équipe qui a permis l’enregistrement de cet album s’est formée après Song Book. Elle se compose de Johan Daglaard, Pierre Jaconnelli et Philippe Entressangle. Benjamin connaît Johan depuis 2007 et leur complicité et leur amitié s’est renforcée lors de la tournée Song Book. Pierre a réalisé le premier titre de Benjamin il y a 25 ans. Le guitariste à l’origine du succès d’ Allumer le feu croise régulièrement depuis plus de 15 ans, au gré de leur collaborations musicales sur scène ou en studio, Johan et Philippe. Tous les trois sont amis et se connaissent très bien. Leurs références musicales communes leur permettent de travailler de manière instinctive, ce que Benjamin apprécie particulièrement.

Créer à l’instinct, le crédo de Benjamin.

C’est donc un travail collégial qui a opéré sur la réalisation de cet album. L’enregistrement s’est fait dans une ambiance de camaraderie dans lequel chacun était très attentif aux besoins des autres. Les trois musiciens discutent beaucoup ensemble des inspirations et des influences musicales que le chanteur veut apporter à chauque titre avant l’enregistrement. Ensuite, comme nous l’a confié Johan Daglaard, tout se fait à l’instinct :

L’enregistrement est une sorte d’extension de la discussion entamée ensemble auparavant et qui se poursuit en musique. Chacun sait exactement de quelle manière il doit jouer. Benjamin est très attaché à l’instinct et ne fait pratiquement qu’une seule prise. Les quelques « imperfections » qui peuvent y apparaître pour les musiciens sont pour Benjamin la chance de nouveaux choix artistiques audacieux.

Johan Daglaard, entretien réalisé par téléphone.

Les guitares font l’harmonie, les synthés modulaires l’originalité.

Pierre Jaconnelli, orfèvre de la guitare et de la composition, est aussi co-réalisateur de l’album, A ce titre, il sait également parfaitement faire le lien entre l’artiste, son entourage et les besoins stratégiques de la maison de disques. Son implication dans la réalisation et la production a donné au disque une plus grande concision et une meilleure homogénéité.

Johan Daglaard, grand amateurs des sons électroniques, a fait connaître à Benjamin le synthé modulaire qu’il avait découvert récemment. Effectoivement, cet instrument plaît rapidement beaucoup à l’artiste puisque qu’il implique de construire à chaque fois un son unique. L’instrument est fait de tel sorte que les sons qu’il créés sont originaux et non reproductibles. Il n’y a pas de présets et une fois décablé, l’instrument « oublie » le son réalisé. Ainsi, Johan Daglaard nous a confié qu’il est obligé de « sampler » pour Comment est ta peine ? le son de l’enregistrement pour le rejouer sur scène parce qu’il ne peut plus le reproduire en direct à l’identique.

Des gimmicks qui font des tubes

L’association des guitares de Pierre Jaconelli aux synthés modulaires de Johan Daglaard, posée sur le talent de compositeur de Benjamin fait des merveilles. 13 chansons, déjà deux titres sortis en promotion, dont l’un au moins, Comment est ta peine ? est déjà un tube, avec 1 millions d’écoutes en streaming. Et des tubes dans ce disque il y en aura d’autres. Visage Pâle, Comme une voiture volée ou Idéogrammes seront chantés en chœur bientôt (oui bientôt!) dans les foules des festivals. On retrouve dans les mélodies les influences électro pop d’Etienne Daho et le rock des Strokes façon Julian Casablancas. Les gimmicks de chaque début de chanson font mouche à chaque fois. Le titre est immédiatement identifiable, la mélodie tourne, rythmée et dansante sur des textes qui le sont souvent bien moins.

Parce que faire danser sur des chansons tristes, comme Joy Division faisait se soulever les foules en interprétant Love will tear us appart, tel est le St Graal de Benjamin. Alors, dans Où est passée la tendresse ? véritable pépite de l’album, il chante :  

« je rêve d’euthanasie mais je suis trop couard pour le faire

Chaque jour ma vie est plus courte que la veille

Je ne suis pas fini mais ce n’est plus du tout pareil ».

Où est passée la tendresse, Grand Prix, Benjamin Biolay, Bambi Rose/Polydor

De la même manière sur le titre Papillon Noir (partagé avec Anaïs Demoustier): « Je suis le garçon bizarre celui qui n’a rien à voir / Je suis ta vie dans ce qu’elle a de plus dérisoire » toujours sur une mélodie rock et dansante. Le pari semble réussi.

Sa route, jusqu’à Interlagos.

L’album Song Book avec Melvil Poupaud et la tournée qui s’en est suivie lors de l’hiver 2018-2019 a été l’occasion, pour Benjamin, de chanter le répertoire de crooners.

Le tournant de Song Book.

Ainsi, Il a découvert, lui, qui peut-être par timidité, chantait presque souvent trop bas, qu’il était capable d’interpréter ce type de répertoire et d’utiliser cette voix qu’il n’avait jamais osé pousser. Il a aussi compris, comme nous l’a confié Johan Daglaard, qu’il pouvait chanter aisément de cette manière même sans formation musicale importante derrière lui (sur Song Book il n’y avait que Melvil à la guitare ou à la batterie et Johan aux claviers) pour l’accompagner. Et qu’encore mieux, il lui était agréable de le faire sans jouer lui même d’un instrument, en étant qu’un interprète. Il va alors se servir de cette voix pour interpréter des textes ciselés à la plume, qui sont parmi les plus personnels qu’il n’ait jamais écrits.

Ma route, depuis le tourbus.

La merveilleuse et très sincère Ma route, écrite justement dans le tourbus de cette tournée, en est le plus bel exemple :

J’ai traversé le siècle tel l’enfant d’un autre

Jamais le plus select, pas avare de mes fautes

Hier c’est le printemps, demain c’est le tombeau

Bienheureux ceux qui croient que leur survivent les mots.

Ma route, Grand Prix, Benjamin Biolay, Bambi Rose/Polydor

Raffinement suprême dans la nostalgie du temps qui passe, on croit déceler, sur les dernières mesures du morceau, le son d’un trombone. Cet instrument dont il a joué adolescent, jusqu’à obtenir le 1er prix du conservatoire de musique de Lyon.

Ma Route, Grand Prix, Benjamin Biolay, Polydor / Bambi Rose

Enfin, deux autres chansons très personnelles (La roue tourne, avec les chœurs sur les dernières mesures de Chiara Mastroianni et Interlagos interprété avec sa fille) s’intercalent entre d’autres titres plus rocks (Virtual Safety car, presque instrumental, le très personnel Où est passée la tendresse ou Souviens toi l’été dernier en duo avec Keren Ann)

Grand Prix, cette « belle Ferrari » aux couleurs de la marque Biolay

Alors cet album, oui, vous l’aimerez, parce qu’à chaque nouvelle écoute, vous y découvrirez des pépites cachées sous chaque gimmick, dans chaque mesure dansante.

Dans ce Grand Prix – cette belle Ferrari – vous entendrez les virages et les lignes droites, celle de départ comme celle d’arrivée. La vie, l’amour, la mort réinventés version rock et électro-pop dans tout ce qui signe la « marque Biolay » : l’élégance, la finesse, le travail, la justesse.

Si Benjamin a depuis longtemps convaincu « la profession », il lui reste encore à sortir de la case de chanteur plébiscité par les mélomanes – ou de ceux ayant su dépasser l’image et les clichées véhiculés de lui dans les médias à une certaine époque – pour conquérir le cœur du grand public.

Et, avec ce disque, faire mentir son idole, John Lennon, qui disait en parlant du rock français qu’il était « comme le vin anglais » (c’est à dire mauvais).

Avec cet album, le vin anglais aurait sûrement eu l’arôme d’un grand cru.

Interlagos (Saudade), Grand Prix, Benjamin Biolay, Polydor / Bambi Rose

NB : article initialement paru pour Cactus Concerto

Cet article a 3 commentaires

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