Analogique, frontal, lumineux, vrai et plus vivant que jamais le nouveau Biolay (Polydor/Bambi Rose)

Je me souviens de la première fois que j’ai écouté Grand Prix. Je me souviens de ma surprise, de mon incrédulité devant ce qui était pour moi, une espèce d’ « ovni biolaysien ». Oui, Biolay a l’habitude de «casser le moule » à chaque nouvel album mais là j’avais l’impression qu’en plus de l’avoir cassé, Benjamin avait en plus, légèrement roulé sur les morceaux.

Parce que Benjamin Biolay, c’est l’orfèvre des mots, de la poésie musicale, des grandes mélodies bien sûr, mais au service de la sublimation du texte. Sur Grand Prix, on ne retrouvait pas vraiment l’ADN Biolay. Un peu comme si, pour élargir son audience et intégrer le tunnel mainstream de la pop française, il avait rogné sur son génie de l’écriture et sa capacité unique à décrire de manière si universelle la fragilité de la vie.

Mais quoi qu’il en soit, pari réussi pour ce Grand Prix. De la boulangère au garagiste en passant par ma grande tante de 90 ans, tout le monde sait (enfin) qui est Benjamin Biolay. Deux victoires de la musique, des textes sur les albums de Pascal Obispo et de Calogero, et une grande tournée qui marque définitivement la reconnaissance du chanteur auprès du grand public.

Biolay is back !

Alors oui, Saint Clair, j’appréhendais un peu. Allait il continuer sur le même modèle que Grand prix ou revenir à lui même, le songwriter génial de la Superbe à Volver, Trash Yéyé et à L’Origine ? Les premiers singles ne m’avaient pas vraiment rassurée. Oui, Rends L’amour ! – donne très bien joué sur scène, le «si tu veux même… j’te baise » très sexy et cinématographique fonctionne à merveille. De même, le deuxième extrait, les Joues Roses , rock et scénique, tout de suite adopté par les fans.

Mais dès la première écoute… joie !!! BB is back ! Celui des textes profonds, qui décrivent avec une précision autant poétique que chirurgicale la fragilité de la vie, ses joies fugaces comme la douleur de la piqûre du couteau dans la chair. L’écorché vif, brut et cru. Pour la première fois depuis longtemps, Benjamin se retrouve leader d’un groupe, un rock band composé de Pierre Jaconelli aux guitares, de Johan Dalgaard aux claviers et de Philippe Entressangle à la batterie. Ces fabulous 4, – dont la complicité s’est formée depuis l’enregistrement de Grand prix et la tournée qui a suivi ont enregistré les 17 pistes du disques quasiment en live, sans plug in ni programmation, et chose rare aujourd’hui, sans vocoder.

Encore vivant

Nouvel album de Benjamin Biolay, nouveau petit film en 17 titres. La première chanson, toujours pensée par l’artiste comme le générique de début de ce petit « film musical »,  pose le décor et donne l’intention. Intitulé Calidum cor, frigidum caput, ou Corps chaud, tête froide que l’on peut dériver ou « unraveler » pour utiliser un anglicisme biolaysien en « Vivant et serein » ce qui peut à priori surprendre venant d’un artiste qui nous a plutôt habitués, dans ses albums précédents, à une certaine noirceur. 

Suivant ce générique instrumental d’une trentaine de secondes,(la mélodie de la chanson Saint Clair qui clôture l’album), le revendicatif Rends l’amour ! Suivi du plus romantique Les joues roses, précèdent des titres plus nostalgiques et introspectifs.

Biolay chante ainsi sa nostalgie d’une époque et ses amis perdus, sa solitude et sa surprise d’être encore de ce monde après tant d’excès

Les lumières de la ville, étoiles de mes amis défunts, qui aimeraient pas que je sois triste pour rien, qui aimeraient tant que je me fasse du bien

Les lumières de la ville

l’ivresse et la folie des nuits « drogues sexe et rock n’roll »qui font se sentir vivant autant qu’elles détruisent

Sexe, drogue, rock, bite, transe électronique, ludique, basique, soft sexe tantrique(…) numéros magiques 

Le diable au corps, le cœur en cire, on m’a jeté un sort, des shorts en cuir, encore et encore je risque de me nuire…fort

– Numéros Magiques

Alors, sur les nappes de synthés de Johan Dalgaard, se demander pourquoi et comment, comment être pourtant encore vivant après tant d’excès ?

De longues années sans mettre de casque, je me demande qui me fait ce cadeau ? l’oeuf la poule ? La maquerelle ou la pute ? Je sais que tout là haut, on scrute

Alors j’ai fait le maximum pour mourir jeune pour ne pas mourir dans la lumière jaune oui j’ai fait le maximum pour qu’on me quitte je ne suis pas allé assez loin mais assez vite 

– Pourtant

C'était sans lendemain ...

Le thème cher à l’artiste de la fin inéluctable programmée d’un amour, avant que celui ci n’ait même commencé, décrite la première fois dans le sublime Bien avant (Trash Yéyé) est sur ce disque décliné sur le planant St Germain et sur ceux qui deviendront sûrement des tubes sur scène les très rocks et rythmés Forever et Petit Chat – titre qui rappelle par l’évocation des rails le 15 septembre de La Superbe :

Avant tu sais j’étais pas comme ça, promis juré j’étais pas comme ça, j’étais un condensé de rires de joies et je croyais encore à l’amour fou

Mais dès lors que je t’ai, je ne peux que te perdre, je ne dors pas je me tais, un seul œil ouvert, peut être le droit, pourquoi pas les deux, les deux à la fois….

Petit Chat

L'été des amours éphémères

L’omniprésence de Sète en toile de fond permet d’évoquer l’été et ses amours éphémères sur les deux duos de cet album : Santa Clara (Septembre un jeudi soir) avec Clara Luciani – un Brandt Rapsodie revisité ? 

(lui) tu m’oublies, tu m’oublies comme on oublie la vie, tu m’oublies, oiseau de nuit

(elle) je t’oublie, je t’oublie comme on perdrait la vie, je t’oublie depuis le début

(ensemble) Bientôt j’n’y penserai même plus…

On est juste 1+1 ensemble, c’est la malédiction du mois de septembre

– Santa Clara

Autre duo sur le même thème : Mort de Joie avec avec Nathy Cabrera, sa bassiste argentine avec qui il travaille depuis Palermo Hollywood.

L’été ne survivra pas, quand à toi tu m’oublieras, comme on oublie l’été dès qu’il fait trop froid (encore une fois)

Aucun arbre dans ta cour, planté en souvenir de moi, personne ne mourra d’amour (encore une fois)

Une fois encore, l’été menteur, est mort de joie

– Mort de joie

De la beauté là où il n'y en a plus ...

Est ce l’âge ou l’expérience ? C’est avec une certaine sagesse que l’auteur délaissé par sa compagne qui lui a préféré « un bel estivant qui était nu sous son pagne », imagine de revenir seul sur cette île, pieds nus sur le sable, allongé seul vers le cadre royal (Pieds nus sur le sable) pour contempler la mer. Un certain optimisme même qui lui fait voir de la beauté dans la tristesse d’une séparation, aussi prévisible soit-elle.

Le soleil va se lever et moi non plus, les draps sont semis froissés, le roi est demi nu

Le temps va nous déporter dans une voie sans issue, d’ici à l’éternité je te verrai jamais plus

Je te verrai plus jamais nue

(…)

J’ai trouvé ça beau, beau, vois tu, que tu redeviennes cette inconnue, j’ai trouvé ça beau mon amour, de voir de la beauté là où il n’y en a plus

– De la beauté là où il n’y en a plus

Plus introspectif mais oh combien réussi, Un Ravel, à prononcer « unravel » – qui en anglais, signifie démêler, dévoiler. Un Ravel aussi comme ce Ravel de la Pavane pour une Infante défunte, auquel Biolay rend hommage et dont est inspirée la musique. Ce Un Ravel, comme le sommet de l’arche narrative de ce disque, et sûrement peut-être le titre le plus émouvant de l’album dans lequel l’artiste rendra tour à tour hommage à Sète, Brassens (Les dunes, la plage de la Baleine, je défiais la Camarde), Charles Aznavour et Johnny Hallyday (Personne, personne dans ce lit, pour retenir la nuit) et le punk des Sex Pistol (Mes sirènes chantent « no futur ») et Gainsbourg (« la beauté des choses ne dure jamais elle vole au vent mauvais » )

Autre introspection, autre titre dans la pure veine du Biolay de La Superbe, Sainte Rita, madone des artistes, prostitué(e)s et autres bannis ou invisibles de la société. Une réminiscence de la période covid durant laquelle la culture et ses acteurs ont été ignorés par la classe politique et qui reste encore comme une blessure toujours ouverte pour le chanteur.

Serait ce un décor ou l’effet de la faim, j’ai vendu mon corps, je le vendais pas très bien

Tel un Saint céphalophore, la tête entre les mains, j’entends passer le train, pas loin

Rita Sainte, ouvre les bras, n’aie nulle crainte, nous sommes à genoux devant toi,

Priez pour nous, sainte Rita

– Sainte Rita

Contemplations

Enfin, pour terminer cet album, deux titres antagonistes et complémentaires forment le générique de fin. La Traversée, où comment, face à la mer, l’artiste pense aux désastres causés par l’extrême pauvreté qui poussent des foules désespérées à traverser la mer, qui si elle ne les noie pas les pousse vers un monde encore plus agressif et destructeur. Et comment, chaque jour de l’été, des vacanciers innocents se baignent dans un cimetière marin qui chaque année, se remplit autant que les tribunes d’un terrain de football. 

La baie s’allume, ce soir encore la mer va cracher le sang de ceux qui n’avaient rien que la lune, devant,

Avant, avant la traversée la baie s’allume, demain les plongeurs feront la bombe dedans, sans savoir la tristesse du sel du vent,

La peur que ne surviennent pirates ou naufrageurs,

Sans même savoir que la mer pleure

La vie, ça noie, des foules de gens, qui rêvent d’emplois, que veulent pas les Blancs

Contrastant avec l’ambiance triste et quelque peu morbide de ce titre, le lumineux Saint Clair clôture l’album éponyme. En haut de la « baleine » sétoise qu’est le mont saint Clair, l’artiste contemple l’aube qui se lève, savoure la régénérescence que lui procure le fait d’être vivant à cet endroit, où aucune nouvelle ne peut troubler sa quiétude.

Je vois la lagune et la mer, il est 6h sur le mont st Clair, il fait beau ce matin sur la terre

Rien ne me dit rien, ne me dit pas, est ce accidentel ou un attentat

Rien ne me dit rien, ne le dit pas, rien ne me dit que tu me reviendras

(…)

tu me régénères, tu es le rayon vert burger king subutex gardenal, preps  force bacchanal

Je vois la lagune et la mer, il est 6h sur le mont st Clair, il fait beau ce matin sur la terre

Un disque qui s’ancre parfaitement dans l’héritage de la Superbe, mais sur le versant ensoleillé des rails. Mélodique ou rock, acoustique ou électrique, il est d’avance taillé pour la scène. 

Du très grand Biolay.,

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