Vincent Delerm : la vie passe et il en fait partie

Vincent Delerm : la vie passe et il en fait partie

Hier soir Vincent Delerm chantait à Montbrison devant le public du festival Poly’Sons. Après le spectacle, je lui ai parlé des photos que j’avais faites, de cet article que j’allais écrire sur son spectacle. Quelle idée insensée ais-je eue là… Comment écrire sur la musique, comment mettre des mots sur des sons, sur d’autres mots ? Comment les faire vivre à d’autres, ceux qui n’y étaient pas ?

Pour écrire sur le concert d’hier, il aurait fallu pouvoir transcrire, entre les lignes décrivant cette introduction de concert parlée et ses petits carnets, les mêmes que ceux dans lesquels il écrivait ses scénographies imaginaires, les heures passées, adolescente, à visionner et revisionner encore et encore, la VHS sur laquelle l’image saute avec le temps, la prestation de Vincent chantant Tes Parents, aux Victoires de la Musique.

Je ne sais pas si c’est tout le monde

Bien sûr, il faudrait pouvoir parler des images immobiles de son film Je ne sais pas si c’est tout le monde, ces travelling magnifiques d’usines désaffectées ou de lycées oubliés, de Jean Rochefort, cavalier seul s’en allant vers le noir, de Souchon surtout, un casque démodé sur les oreilles et écoutant Vincent parler des chansons de fin de disque, ces chansons oubliées par les radios mais qu’on se fait siennes, comme Vincent a fait sienne On s’cache des choses, tout comme j’écoute en boucle Les Jambes de Steffi Graff. Il faudrait enfin parler des mots si justes et si beaux posés sur cette Vie Varda qu’il chante dans son dernier album, Panorama.

Une vie sans compétition

Devant ce visage féminin projeté en arrière plan de la scène et avec lequel il dialogue, pouvoir raconter les heures à arpenter le carré Saint Séverin la tête en l’air, cherchant l’appartement, celui où, face à Modigliani et sous Karin Redinger, elle a dit bien sûr que si. Rue St Vivien chercher le numéro 23 et rêver à Jean-Marc Barr sur la place Clichy. Se souvenir de ces autres promenades, des années plus tard, boulevard Voltaire, les yeux au ciel pour chercher une autre fenêtre, une fille qui penche, la robe et les tennis blanches.

Il aurait fallu pouvoir raconter le concert à Voiron avec Audrey, celui durant lequel l’agent de sécurité m’avait confisqué mon appareil photo. Il faudrait avouer que circulait sous le manteau de la dizaine de mafiosi que nous étions, des enregistrements pirates des concerts, ceux où on parlait de plaintes contre Ravensburger et de salades de maïs, ceux aussi pendant lesquels Hervé Bourdon faisait déjà le son et Dominique Breilhan parfois coupait la ventilation.

Nous avons tant de choses en commun

Il faudrait aussi pouvoir s’attabler au Dalou et décrire ces heures inoubliables, où planqués en haut de l’amphi pendant le cours de préparation aux oraux des concours de la fonction publique, nous chantions tout bas en duo la Vipère du Gabon ou Quatrième de couverture avec Fred. Remercier Vincent surtout, d’avoir dé-ringardisé le statut de premier de la classe, fils de prof, habillé par sa mère chez Cyrillus et inapte au barre parallèles.

Il faudrait enfin pouvoir, en attendant la fée de l’histoire d’Albin, avouer à la tombée du jour, ne connaître ni Deauville ni le cinéma de Claude Lelouch mais par cœur le monologue de Trintignant extrait du film Un homme et une Femme de « C’est beau quand même d’envoyer un télégramme comme ça » à « oui je vais chez elle ».

Pour parler du concert de ce soir, il aurait fallu pouvoir dire que la vie écrit des chansons sans qu’on sache… Et que celles de Vincent en font partie. Il faudrait être là plus tard, écouter parler au loin Amandine, Damien, Youri, Laurent et les autres, et se sentir bien.

Ce soir, Vincent a tellement parlé de nous.

Date : 4 Février 2020

Article initialement paru sur Soul Kitchen Webzine

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