Damien Saez venait hier au soir présenter à Lyon, Ni Dieu ni Maître, l’album qui clôture Le Manifeste, fresque sociale de quatre années de 2016 à 2019 présentée dans une « œuvre numérique » sur son site internet « Culture contre culture ». 39 chansons, politiques et poétiques dans lesquelles se lit la France des attentats aux gilets jaunes, de Johnny à Mandela, à Germaine et Manu.
L’amour est à accepter…
21 avril 2002. Il est 20h dans le bus hebdomadaire qui m’emmène de chez mes parents au campus universitaire quand la radio crache les résultats du premier tour de la présidentielle.
Nous avons 20 ans. On ne se dit rien mais on se comprend. Nous sommes des boxeurs groggys. Ce mot passé entre tous, ce cri silencieux né d’un k-o inattendu qui nous a fait nous retrouver, foule hébétée dans les rues du centre de Grenoble jusque tard dans la nuit. Menacés mais libres. Fils de France. Saez en étendard. Saez en hymne générationnel. Saez en bleu-blanc-rouge.
…pas à comprendre
9 décembre 2019. Lyon, la Halle Tony Garnier est en configuration réduite mais pleine. Après une introduction parlée sur un texte dont l’écriture rappelle l’universel God Bless, le spectacle s’ouvre sur les notes du thème des Quais de seine. Ombre furtive avec une capuche noire sur la tête, l’artiste entre sur la scène. Observe le public, camouflé derrière le dossier du large fauteuil sur lequel il passera, assis, la plus grande partie du concert. S’ensuit Les enfants Paradis, en hommage aux morts du Bataclan. L’émotion est là. Je photographie le public. Ces visages suspendus, ce temps recueilli. Je pense à ces heures d’il y a 17 ans. Saez est un poête. Saez est un immense écrivain.
Et puis les chansons avancent, les orchestrations aussi, portées par 7 musiciens flamboyants. Arrive Manu dans l’c… Est-ce moi qui ai vieilli ? Est-ce moi, qui sur la photo, préfère le flou qui suggère, à la netteté rougeoyante qui crucifie ? Ce Saez là m’a perdue.
Sur la route du retour je pense à Jojo et Mandela, à Tous les gamins du monde, comme à cette province si juste quand c’est lui qui la chante, me repasse Les Meurtrières, A nos Amours, Usés… « Et nous avons vieilli, les poings montent moins haut, mais il reste la force de croire en la beauté… La sève sous l’écorce, de la liberté… Nous marcherons encore… »
Saez est un immense artiste.
Article initialement paru sur Soul Kitchen Webzine